L’Acromphale


Bruno Pons Levy. Londres, 2017
Jeunesse et formation
Bruno Pons Levy, né le 24 juin 1965 à Caen, grandit non loin des plages du Débarquement au sein d’un foyer séfarade qui, arraché par l’exode à tout un pan de son histoire parallactique, s’est ressoudé autour du patriarche maternel. Ses parents, Michel Pons, guitariste classique d’origine espagnole et Lucienne Levy, dite Noëll, peintre de l’École d’Alger, profitent ainsi du vent d’émancipation de la fin des années soixante. Capable, dès l’âge de deux ans, de reproduire une mélodie de Debussy ou un lied de Brahms, leur fils paraît destiné à une carrière musicale. À la rentrée de 1970, il intègre le Orff-Schulwerk pour deux années d’initiation générale, avant d’entamer un cursus classique au conservatoire de Caen. On le met au violon, mais il refuse d’obtempérer aux injonctions à se contorsionner, et opte pour le violoncelle. Dans la foulée, le magnétisme de Dvořák le ramène irrésistiblement à ce stade de réinnervation du réel qui fait la puissance du verbe ; il a huit ans et, à l’écoute du Nouveau Monde, il couche par écrit sa vision implacable d’une existence dont les raisons d’espérer qu’elle égrène renforcent le tragique. Ayant toujours attribué aux lettres et aux notes de musique une fonction similaire, le jeune empathe squattera les temples de la musique traditionnelle, savante et populaire, animé d’une ferveur égale pour leurs espaces topiques puissamment imbriqués. Hélas, l’adolescente insoumission de ses premières compositions le voue aux gémonies avant-gardistes arc-boutées dans la posture atonale.
La fabrication de l’écrivain
À l’automne 1985, Bruno s’installe à Paris où il perfectionne sa technique auprès du violoncelliste Alain Meunier. Appelé pour interpréter le continuo du Magnificat de J.-S. Bach avec le grand claveciniste et redécouvreur de la musique ancienne Antoine Geoffroy-Dechaume, cet ancien membre des FFI chargé des parachutages en Corrèze lui propose une série de concerts placés sous sa houlette autour de la lyrique courtoise et des Folies d’Espagne. Pourtant, Pons Levy va contre toute attente emprunter un chemin de traverse, réinventant, avec L’hystérocrate, le genre de la chantefable dans lequel s’engouffreront deux formes d’art entre lesquelles il n’avait jamais réussi à trancher. Mais c’est l’exposition André Breton, La beauté convulsive, où un mur de l’atelier du poète avait été reconstitué en 1991 au 5e étage de Beaubourg, qui fera basculer ce spécialiste de la fugue dans ce qu’il n’avait jamais cessé d’être. Sa mosaïque de chansons revêt du coup des dimensions impossibles à contenir. Les textes s’élargissent, s’allongent et se démultiplient au galop d’un dimensionnement que le compositeur renonce à rattraper. En revanche, ils poussent l’écrivain au cœur d’une procession de réalisations indépendantes où se dessine de plus en plus nettement une forme polymatricielle.
Un style mutationnaire
Au début des années 1990, Pons Levy est en train de développer une approche polyréaliste de l’art fondée sur ses recherches sur la psychoréfractivité. L’acromphale, dispositif constitué de sept couloirs interconnectés disposés en rayons et plongés dans l’obscurité, révèle les trajectoires imprévisibles qu’emprunte la réfraction psychique. Il en sortira une trilogie poétique composée de L’or du voir, Antéthée et Le non-être, puis quatre essais combinant les champs anthropologique et politique, historique et philosophique. Parallèlement, il planche sur un traitement alternatif du rythme ayant vocation à contrôler la dyslexie musicale par la refonte des apprentissages fondamentaux. C’est alors que le polyréaliste franchit le changement de millénaire depuis un poste d’observation lui permettant d’en discerner les mutations déjà opérantes dans La trouée, roman achevé quelques semaines avant l’an 2000, utilisé comme tremplin pour surmonter le chaos qu’il avait généré en faisant barrage à ces relents vichystes qui, non contents d’avoir infiltré toutes les strates de la société française, profiteraient de l’impératif de réconciliation nationale pour intégrer son noyau familial. À cette époque, il multiplie les voyages outre-Manche où son frère a été aspiré au cœur de la nébuleuse Britpop. Il y côtoie plasticiens, photographes, songwriters britanniques, mais aussi européens et américains, expatriés ou en escale à Londres qui, de manière incontestable, a détrôné New York en tant que capitale de l’art moderne.
Métaphysique de l’engagement
En 2001, le romancier rouvre un essai de philosophie architecturé sept ans auparavant. Aux prises avec les contradictions inextricables de son judaïsme athée, il s’intéresse très vite au concept du rien par le truchement duquel surgit un terreau théorique : le rénonisme, qu’il qualifiera lui-même de « panenthéisme négatif », faisant germer l’idée d’un système philosophique qui satisferait de manière d’autant plus efficace aux exigences de l’être que celles-ci s’exposeraient à lui sous le prisme du non-être. Ce principe guidera désormais tous ses travaux, que ce soit pour ces Axiomes de la potence dont émergera une sotériologie athéisée sur la base de l’alternité, ou un essai plein de ferveur mystique sur l’iconoclasme recourant au blasphème pour ses vertus cathartiques, et où la transgression sera le plus sûr moyen de déclencher un réel processus de sanctification. Au cours du premier semestre 2011, Pons Levy renoue avec le rock en écrivant les textes du premier album francophone de son frère, Marc O, musicien et producer confirmé de la scène londonienne. Puis viendront les Prodromes, essai critique sur l’histoire immédiate dont il s’empresse de déminer, pas à pas, la croûte de subterfuges. Depuis 2009, celui qui, dans son essai sur le rien, esquissait les contours d’une civilisation alterne, avait éprouvé le besoin de marquer sa distance à l’égard des impostures de l’altermondialisme. Ce sera là son « Contre Chomsky », libérant quelque deux mille détonations réflexives répercutées par le Web, à la faveur d’une conjoncture d’événements incontrôlés dont les extrêmes ne manqueront pas d’exploiter la nature économique et migratoire de la combinaison critique. Ce dernier procédé permet à Bruno Pons Levy d’entrer par effaction sur la scène intellectuelle des années 2010, d’y affûter ses propres thèses au sein de la résistance antitotalitaire, non sans avoir pris la précaution de jeter çà et là une poignée de chausse-trapes au non-sens de l’Histoire.
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